Biographie

Biographie de Jacques Cloarec

Mars 1995

Jacques Cloarec @Angelo Frontoni

Jacques Cloarec @Angelo Frontoni

Jacques Cloarec, breton comme son nom l’indique, est né à Brest en 1938 sous le signe des Poissons. Il commence sa vie professionnelle comme instituteur en Bretagne, où il s’intéresse beaucoup au folklore celtique et crée et dirige plusieurs groupes de danseurs et de musiciens. En 1960, il part enseigner à Paris et participe ensuite, sans enthousiasme, à la guerre d’Algérie. En 1962, il rencontre Alain Daniélou, qui crée alors l’Institut international d’études musicales comparées à Berlin.

Il vit à Berlin-Ouest pendant quinze ans, puis cinq ans à Venise, où Alain Daniélou a ouvert une antenne de son Institut. Son premier travail fut de classer et d’enregistrer une importante collection de photographies qu’Alain Daniélou et l’ami avec lequel il avait vécu pendant plus de quinze ans dans un palais au bord du Gange à Bénarès, le photographe suisse et membre du service archéologique indien Raymond Burnier, avaient rassemblées lors de leur séjour en Inde. C’est ainsi que, sans avoir jamais visité l’Inde, Jacques Cloarec s’est familiarisé avec l’architecture de la plupart des grands temples médiévaux, notamment ceux de Khajuraho, Bhuvaneshwar et Konarak, ainsi qu’avec une douzaine de temples moins connus, comme Aihole, Ossian, Sirpur, Deogarh, Chandpur, Amarkantak, Parasnath et Abu, Sarnath et Sanchi, etc. Grâce à ces photos, il a pu visiter en esprit l’ensemble de l’Inde, Burnier et Daniélou ayant rapporté des documents de Kulu, Malabar, Almora, Nagaland et Tamil Nadu. Il a également accompagné des groupes de musiciens classiques invités par Alain Daniélou pour des tournées en Europe, dont les frères Dagar, Sharan Rani, Pattadmal, Lakshmi Shankar, ainsi que des groupes de danseurs, la troupe Kathakhali du Kerala Kalamandalam, Yamini Krishnamurti, etc. Il participe à l’organisation de festivals de musique et de danse indiennes dans différentes villes d’Europe et devient secrétaire d’une association de directeurs des plus importants festivals européens afin de concrétiser la volonté d’Alain Daniélou d’admettre les musiciens et danseurs classiques indiens aux mêmes grandes manifestations que les musiciens et danseurs occidentaux.

De 1965 à 1980, il a été le directeur technique (avec Alain Daniélou comme directeur artistique) de la prestigieuse collection de disques de musique traditionnelle de l’UNESCO, rééditée par Smithsonian Folkways Recordings. Cela lui a permis d’enregistrer un grand nombre de musiciens. De ses voyages, il a tiré une importante collection de photographies de paysages, d’architectures et surtout de danseurs et de musiciens de l’Orient en général et de l’Inde en particulier, alimentant de nombreuses encyclopédies et revues musicales et les illustrations des pochettes de nombreux disques de musique traditionnelle.
En 1980, Alain Daniélou décide de se retirer dans une grande maison près de Rome. Jacques Cloarec abandonne son poste de secrétaire général des instituts de Berlin et de Venise pour devenir le collaborateur d’Alain Daniélou dans son travail d’écrivain. C’est à cette époque qu’Alain Daniélou écrit une grande partie des œuvres qui ont fait sa renommée. Pendant toute cette période, Jacques Cloarec est l’agent littéraire d’Alain Daniélou et s’occupe de l’édition de ses œuvres. La maladie gagne ensuite Alain Daniélou et Jacques Cloarec reste à ses côtés jusqu’à ce qu’il nous quitte en janvier 1994.
Au cours de son long séjour en Italie, Jacques Cloarec s’est également intéressé aux aspects musicaux du théâtre italien. À ce titre, il a notamment photographié les spectacles du compositeur Sylvano Bussotti², à Palerme, Florence, Vérone, Rome, etc.

À partir de 1985, le grand chorégraphe Maurice Béjart¹ lui a régulièrement permis de suivre ses productions, dont Le Martyre de Saint Sébastien et Kabuki à la Scala de Milan, toutes deux dominées par Eric Vu An, La Métamorphose des Dieux à Bruxelles, consacrée à Malraux, et plus récemment, 1789 et Nous, une production du Béjart¹ Ballet Lausanne au Grand Palais à Paris.
Membre du Salon d’Automne de Paris, Jacques Cloarec y expose son travail photographique chaque année depuis 1982. En 1984, au Festival de Genazzano, près de Rome, il expose son hommage à Sylvano Bussotti², exposition complétée et reprise à L’Aquila (Italie) en août 1987, et au Palazzo Medici-Riccardi de Florence en mai 1988 pour le Maggio Fiorentino. Sa première grande exposition rétrospective a lieu à la Galerie Régine Lussan à Paris en novembre 1986, dans le cadre du prestigieux « Mois de la photo », sous le titre L’Opéra à Nu, Entre Corps et Décors. Le Salon d’Automne de Paris lui a rendu hommage en novembre 1988, avec Images-Grimages, Les maquillages de théatre.

Depuis le décès d’Alain Daniélou, qui avait désigné Jacques Cloarec comme son exécuteur testamentaire, ce dernier s’efforce de maintenir son œuvre à la disposition de ceux qui cherchent à mieux comprendre l’hindouisme orthodoxe et son extrême tolérance, et en particulier certaines formes de shivaïsme, ainsi que ceux qui cherchent à comprendre le monde qui nous entoure.

Il s’occupe de classer et d’enregistrer l’importante documentation laissée par Alain Daniélou, en collaborant avec le Musée de l’Elysée à Lausanne pour le matériel photographique (plus de 8 000 négatifs), et pour les textes, avec la Fondation Cini à Venise, à laquelle Alain Daniélou a légué son importante bibliothèque contenant un certain nombre de manuscrits inédits sur la musique indienne. Il collabore également avec l’Unesco et le Conseil International de la Musique pour la réédition des collections de disques ;il coordonne les travaux de trois spécialistes français, Michel Geiss, Christian Braut et Jacques Dudon pour la réalisation d’un nouvel instrument de musique basé sur les théories d’Alain Daniélou et il accélère également la réédition et la traduction des oeuvres d’Alain Daniélou, dont la dernière en date n’est pas la moins étrange, puisqu’il s’agit des partitions musicales composées par ses soins pour les danses qu’il a interprétées dans les années trente.

Les nombreuses commémorations d’Alain Daniélou ont nécessité une activité permanente, avec la préparation de deux expositions à Venise en mars 1995 (Living in India, une exposition de photos d’Alain Daniélou prises dans les années quarante, et une exposition de souvenirs, dont des lettres de Tagore, Indira Gandhi, etc.), une exposition de dessins illustrant un tour du monde en 1936, et une exposition d’aquarelles pour une galerie à Saint-Germain-des-Prés à Paris.

Collaborateur et élève d’Alain Daniélou pendant plus de trente ans, imprégné de philosophie, de culture et de religion hindoue, Jacques Cloarec se consacre désormais à la diffusion des concepts que son maître lui a inculqués.

 


 

1. Liste des ballets de Maurice Béjart photographiés par Jacques Cloarec.

Chaka (janvier 1989, Grand Palais de Paris), Oiseau de feu (mars 1989, Fenice de Venise), Sept danses grecques (mai 1989, Paris), Kabuki (Septembre 1986, Scala de Milan), Kabuki (octobre 1987, Chatelet de Paris), Métamorphose des dieux (23 octobre 1986, Bruxelles), Piaf (juin 1989, Paris), Chant du compagnon errant (avril 1987, Paris), Trois pièces pour Alexandre (avril 1987, Paris), Feminin masculin (avri,l 1987 Paris), Mephisto Walzer Les Chaises (avril 1987, Théâtre musical du Châtelet de Paris), Martyre de saint Sébastien (juin 1986, Scala de Milan), 1789 et Nous (mai 1989, Grand Palais de Paris), Arepo (Spoleto), Bolero de Ravel (septembre 1986, Crema), Mishima (1989), Baisée de la fée (juillet 1988, Rome), Sacre du printemps (juillet 1988, Rome), Bhakti 1 et 3 (juillet 1988, Rome).

2. Liste des spectacles de Sylvano Bussotti (en tant que compositeur, scénographe, costumier et/ou metteur en scène), photographiés par Jacques Cloarec.

Le racine (Milano, Piccola Scala, 1980), Fedra (Roma, Teatro dell’opera, 1988), L’ispirazione (Firenze, 51° Maggio Musicale Fiorentino, 1988), L’incoronazione di poppea di C. Monteverdi (Trevisto, Teatro Comunale, 1975), Simon Boccanegra di G. Verdi (Torino, Teatro Regio, 1979), Otello di G. Rossini (Palermo, Teatro Massimo, 1980), Carmen di G. Bizet (Susa, Teatro Civico, 1980), Rappresentazione di anima e corpo di E. de’ cavalieri (Siena, Teatro dei Rinnovati, 1980) Turandot di G. Puccini (Torre del lago, festival pucciniano, 1982) Tosca di G. Puccini (Verona, arena di verona, 1984), Ulisse di L. Dallapiccola (Torino, Teatro Regio, 1985), Turandot di G. Puccini (Roma, teatro delle Terme di Caracalla, 1985), La Gioconda, di A. Ponchielli (Firenze, Teatro Comunale, 1986)
Aida, di G. Verdi (Roma, Teatro delle Terme di Caracalla, 1987).

 


 

Interview de Jacques Cloarec à propos du métier de photographe — France Inter (11 novembre 1986)

Je voudrais vous faire entendre, Messieurs, un autre exemple de ce mois de la photo, c’est l’exposition à partir de demain à la galerie Régine Lussan des œuvres de Jacques Cloarec uniquement consacrés à l’Opéra sur la scène et dans les coulisses. Sophie Dumoulin a demandé à Jacques Cloarec de nous parler de son exposition, du choix de ses modèles et de sa conception de la photo.

Jacques CLOAREC : Je photographie depuis à peu près une dizaine d’années tous les spectacles d’un seul metteur en scène qui est ce compositeur d’avant-garde italien Sylvano Bussotti et qui fait énormément de mise scène en Italie et qui est très peu connu en France. Et j’ai pensé que le public français serait intéressé de connaitre son travail.

Il est très baroque dans ses conceptions et il a fait des spectacles sur les principales scènes d’Italie. Alors, je l’ai suivi aux Arènes de Vérone où il ouvrait la saison de l’année dernière avec Toska. Je l’ai suivi à Palerme pour un Otello de Rossini, à Rome pour un Simon Boccanegra, et pour ses propres œuvres aussi puisque lui-même a écrit plusieurs opéras.

J’envisage ce travail non point comme un photographe qui arrive le jour de la générale pour photographier le spectacle et passe au suivant, j’essaie toujours de vivre le spectacle pendant à peu près une semaine. C’est-à-dire que je vis avec la troupe, j’assiste à toutes les répétitions sans costume, en costume. Je vais voir les tailleurs qui font les costumes, je fais les photos à ce moment-là, je vois le metteur en scène dans ce qu’il essaie de faire et je photographie en connaissance de cause certaines parties des spectacles qui m’intéressent particulièrement.

Sophie DUMOULIN : Alors, vous vous installez dans la salle ou dans les arènes, comment cela se passe ?

Jacques CLOAREC : Oui, l’essentiel, c’est de ne pas se faire voir parce que l’état de tension qu’il y a sur un plateau quand on monte un opéra est quelque chose qui m’a absolument fasciné parce que quand il y a 3 à 400 personnes à réunir, tout ce monde est dans un état d’agitation et il faut arriver à coordonner le tout. Si en plus, il y a un photographe qui vient dans vos pattes et qui est là à chaque instant, il est très, très mal vu. Donc, il faut se faire tout petit, tout petit, s’habiller de couleur très sombre pour se faire voir le moins possible, et puis, entrer tout doucement, avoir des appareils très silencieux. J’utilise le Leica pour me faire le moins remarquer possible et puis voilà.